Un marché tout juste émergent
En 2013 était produit en laboratoire le premier steak haché in vitro grâce aux travaux de l’entreprise hollandaise Mosa Meat. Depuis, les projets industriels sont nombreux à s’être saisi de cette question et à plancher sur la manière dont on pourrait commercialiser, à grande échelle, des produits animaux sans animaux. Ainsi, plus de 150 entreprises développent de la viande artificielle, pour un investissement de presque 900 millions de dollars pour l’année 2022 🤑. Les financements se sont donc envolés, d’origine tant publique que privés, pour développer ce filon qui promet d’être lucratif, dans un contexte où la consommation de viande et toutes les dérives qu’elle incarne chiffonnent de plus en plus.
Pourquoi la viande artificielle intéresse-t-elle tant ?
Il est à la fois question de la souveraineté alimentaire des états, comme de l’impact écologique de notre boulimie pour la viande 🌏. Avec les quelque 70 milliards d'animaux terrestres abattus chaque année dans le monde pour finir dans nos assiettes, aux termes d’un élevage aux impacts environnementaux et éthiques désastreux, l’idée serait donc de résoudre, au moins en partie, les problèmes posés par l’élevage industriel et ses dérives. Nous pourrions notamment consommer des animaux dont les populations sont actuellement décimées, car surexploitées, comme le thon rouge d’Atlantique. 👉 La surpêche, quand les poissons touchent le fond !
Outre le fait que la viande in vitro permettrait d’éviter la souffrance animale, et utiliserait infiniment moins de terre et d’eau que le bétail, qui dit peu d’animaux impliqués, dit risques sanitaires réduits. Les zoonoses seraient ainsi totalement évincées dans l’hypothèse où la viande cellulaire venait à se généraliser. Même résultat pour l’utilisation à outrance d’antibiotiques pratiquée par l’élevage industriel. Elle permet aussi de contourner les obstacles culturels inhérents aux autres alternatives à la consommation de viande, telles que l’introduction des insectes dans notre alimentation, qui fait encore l’objet de nombreuses réticences 🪳.
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Viande cellulaire, comment ça fonctionne ?
⚗️ Demain, peut-être, il suffira donc de prélever des cellules sur un bœuf, un porc ou un poulet, et de les multiplier en laboratoire dans un milieu de culture favorable, afin de reproduire le processus naturel de la croissance cellulaire. La viande in vitro ne nécessite donc ni reproduction, ni élevage, ni abattage d’animaux (le prélèvement peut néanmoins être réalisé sur un animal fraîchement mis à mort). On peut imaginer qu’à terme, le stockage des cellules, ou banque de cellules, permettra de stocker ces dernières sans nécessiter de biopsie sur un animal vivant, avec une sélection de la qualité de ces dernières.
🧫 Tout au long du processus, il faut évidemment alimenter les cellules, comme elles le sont par le sang lorsqu’elles se développent à l’intérieur d’un animal : glucides, graisses, vitamines, acides aminés, minéraux… Si dans un premier temps on a utilisé du sérum fœtal bovin à cet effet, faute de solution alternative, ce n’est plus le cas et d’autres milieux de croissance sont désormais en cours de développement. Il faut environ cinq à sept semaines pour produire de la viande cultivée, en fonction de l’espèce, du type de cellule et d’autres paramètres. Le produit, au final, a l’apparence, l’odeur, le goût et la texture de la viande.
La difficulté de la reproduction de la diversité de la viande
En revanche, il ne faut pas se faire de fausse idée sur la viande cellulaire : il est impossible de reproduire, par exemple, une bavette, une entrecôte, ou un onglet de bœuf 🥩. La viande de culture n’est pas en mesure, actuellement, de reproduire cette diversité, et se rapproche plutôt du steak haché. La viande, en tant que telle, résulte en effet de la rigidité cadavérique qui rigidifie les muscles de l’animal après l’abattage, suivie de mécanismes biochimiques naturels qui l’attendrissent dans un second temps. Le tissu musculaire se transforme après l’abattage, ce qui ne peut être reproduit en laboratoire.
Une technologie balbutiante et coûteuse, mais prometteuse
Le principal argument opposé à la viande en laboratoire, c’est que le processus demeure bien trop coûteux pour être déployé en l’état à grande échelle 💰. Les cultures, en effet, nécessitent des conditions d’hygiène très rigoureuses, et les équipements qui sécurisent la nécessaire absence de contamination bactérienne (les bioréacteurs) sont hors de prix. Une stérilité également garantie par l’usage de matériel en plastique à usage unique par le personnel, ce qui suppose une importante pollution plastique. Le sérum, lui aussi, demeure actuellement très onéreux.
Néanmoins, on peut espérer que le passage à l'échelle industrielle de ce mode de production permette, à terme, de réaliser d’intéressantes économies d'échelle.
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La viande de labo, pas si écolo
De plus, à l’heure actuelle, il s’agit d’un processus très énergivore à l’empreinte carbone effarante, 5 fois supérieure à celle du poulet, d’après les termes de Marco Springmann, spécialiste en sciences de l’environnement à l’université d’Oxford 😱. Le bœuf cultivé en laboratoire demeurerait, de son côté, 8 fois plus cher à produire qu’un animal issu de l’élevage traditionnel. En revanche, la production in vitro aurait un pouvoir réchauffant global inférieur à celui de la production de viande de bœuf traditionnelle, du fait de l’émission de méthane par les ruminants.
À terme, néanmoins, les études scientifiques s’accordent globalement sur le fait que l’impact environnemental sera nettement plus faible que celui de la viande de bœuf traditionnelle, particulièrement polluante.
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Viande cellulaire, on en est où ?
À l’étranger, l’entreprise californienne Eat Just a commercialisé à Singapour ses premiers nuggets de viande cellulaire en 2020, mais à un coût assez dissuasif. Aux Etats Unis, de la viande artificielle commence à être servie suite à l’approbation du ministère américain de l'agriculture (USDA) de la production et la vente de viande de poulet par deux entreprises : Upside Foods et Good Meat. Cela fait des Etats-Unis le 2ème pays à légaliser la viande in vitro sur son territoire 🍖.
En France, néanmoins, on boude clairement la viande cellulaire, lobby de la viande aidant, et actuellement, aucune demande d’autorisation de produits à base de cellule animale n’a été déposée en Europe, mais les choses bougent néanmoins en faveur de son développement. Un rapport de la commission des affaires économiques du Sénat présenté mercredi 15 mars 2023 appelle en effet à « accélérer les recherches pour décider en toute connaissance de cause et ne pas tomber dans la dépendance à de grandes entreprises étrangères ». L’idée est donc de ne pas rater le coche dans un secteur qui prend quoi qu’il en soit son envol, n’en plaise aux défenseurs des agriculteurs et de la ruralité. Ainsi, dans l’hexagone, Gourmey cherche déjà à développer un foie gras garanti sans gavage, tandis que la Start-up Vital Meat située près de Cholet, produit de la viande artificielle de poulet 🍗.
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À retenir
La souffrance animale, les dérives inacceptables de l’élevage industriel, les impacts environnementaux catastrophiques de la production de viande… Et si, demain, tous ces fléaux pouvaient devenir un mauvais souvenir ? Les alternatives à la viande existent, et sont à l’étude : si manger des insectes n’attire pas dans nos sociétés, la viande cellulaire, produite en laboratoire au moyen de cellules prélevées sur un animal pourrait emporter une adhésion plus franche de la part des consommateurs. Procédé encore trop coûteux pour être déployé à grandes échelles, les choses avancent vite dans ce domaine qui a bénéficié d’investissements très importants ces dernières années. Une affaire à suivre de près !
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Sources : reporterre.net, agriculturecellulaire.fr, nationalgeographic.fr, lesechos.fr, geo.fr, theconversation.com, lemonde.fr