L’environnement, victime collatérale et silencieuse de la guerre
La guerre sème en effet une désolation totale, et décime tout sur son passage, sans distinction. Pourtant, les conséquences écologiques de la guerre sont bien souvent passées sous silence 🙊, comme s’il était indécent de détourner les yeux des pertes et souffrances humaines pour se pencher sur le sort de la nature. Pourtant, de ce point de vue aussi, c’est bien souvent un véritable carnage, et ces dommages considérés comme secondaires sont en fait une véritable bombe à retardement pour la population locale.
L’exemple du conflit ukrainien
Le conflit en Ukraine qui fait rage et approche doucement mais sûrement de son 2ème anniversaire en est la triste illustration, et il s’agit sans nul doute de la guerre la mieux documentée de toute l’Histoire dans ce domaine : forêts incendiées par centaines de milliers d’hectares, terres agricoles minées, puits empoisonnés, menace de catastrophe nucléaire, sites protégés dégradés, explosion du barrage de Kakhovka, incendies dans les raffineries ou usines chimiques 😱… Quel est l’état des lieux écologique de la guerre en Ukraine ?
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Des écosystèmes dévastés, une biodiversité en danger
Les écosystèmes ukrainiens ne sont clairement pas au sommet de leur forme, alors même qu’ils représentent 35% de la biodiversité de l’Europe : 70 000 espèces animales et végétales y sont recensées. Près de 900 zones naturelles protégées d’Ukraine ont d’ores et déjà été affectées par les activités militaires, ce qui correspond à environ 30% de l’ensemble des espaces protégés du pays. Les dégâts causés aux écosystèmes impacteront la biodiversité sur plusieurs siècles 😢.
Les normes environnementales revues à la baisse
En temps de crise, les normes environnementales passent évidemment à la trappe. De nombreuses restrictions environnementales ont été annulées pour les besoins de la guerre, comme c’est le cas de l’interdiction de l’abattage des arbres au printemps ou des normes relatives à la déforestation afin de fournir la population en bois de chauffage 🪵 et de développer les exportations vers l’UE. Des décisions parfaitement compréhensibles au regard de la crise épouvantable traversée par la population. C’est ainsi que les Carpates, connues pour être le « cœur vert » de l’Europe, en prennent un sacré coup.
L’agriculture sévèrement impactée
Par ailleurs, 10 millions d’hectares de terres arables ont été bombardées ou minées 💣 : 65 000 obus s’écrasent sur le territoire chaque semaine. Ainsi, près d'un tiers des cultures ukrainiennes pourrait être inexploitable après la guerre. Plusieurs générations d’agriculteurs risqueront leur vie et travailleront dans l’angoisse. Des carcasses de bétail pourrissent dans les champs, et contaminent les milieux.
Les fuites inquiétantes des sites industriels pris pour cible
L’Ukraine est l’un des pays qui comptent le plus d’industries lourdes en Europe. De nombreuses installations de traitement et d'épuration de l'eau ont subi de sévères dommages. Des sites d’exploitation minière, industriels, et agroalimentaires ont subi d’importants dégâts causant le déversement de substances dangereuses pour l’environnement, contaminant les nappes phréatiques et des rivières ☠️. Solvants, engrais, acide nitrique… Ainsi, des taux d’ammoniac 163 fois supérieurs aux normes ont été relevés dans la rivière Ikva après la destruction de réservoirs de produits chimiques dans la région de Ternopil.
Par ailleurs, les armes de guerres et véhicules abandonnés comportent des métaux lourds et des explosifs, des toxiques qui persistent dans l’environnement.
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La vie marine n’est pas épargnée
Des milliers de cétacés sont par ailleurs complètement déboussolés par les sonars des navires de guerre, et s’échouent sur les côtes de la mer Noire. De même que l’utilisation de bombes incendiaires au phosphore qui brûlent le corps des dauphins 🐬.
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Qu’en est-il du bilan carbone du conflit en Ukraine ?
Par ailleurs, le bilan carbone de la guerre est évidemment à frémir : pour illustration, l’empreinte imputable au seul conflit sur une année a été estimée à 97,3 millions de tonnes de CO2, soit près de la moitié du bilan carbone total de l’Ukraine en temps de paix, sur l’année 2021. Fuites de méthane des gazoducs, feux, reconstruction d’immeubles résidentiels et d’infrastructures, consommation de carburant et d’équipements militaires… Un surplus d’émissions considérable.
Un héritage toxique pour les prochaines générations
Un héritage qui s’annonce particulièrement toxique pour les générations futures, qui seront confrontés à des risques de cancers, de maladies respiratoires et de problèmes de développement chez les bébés. Les conséquences environnementales du conflit ont été évaluées au terme d’une étude des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) qui a dénombré des milliers d’incidents possibles de pollution de l’air, de l’eau et du sol et de dégradation des écosystèmes 😱.
Et encore, on vous épargne le chapitre sur l’usage de l’arme atomique pendant la seconde guerre mondiale, de l’utilisation de « l’agent orange » au cours de la guerre au Vietnam, un herbicide qui causait la mort de la végétation, de l’utilisation d’armes chimiques en Syrie, des vagues de migrants qui vont avec leur lot de déchets, d’absence de traitement de l’eau, et on en passe 🫣…
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L’écocide, futur crime de guerre ?
L’article 35 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève précise que d’une part, les territoires en guerre n’ont pas carte blanche quant aux armes ou technologies qu’ils ont le droit d’utiliser, et que d’autre part, il est interdit d’avoir recours à des méthodes susceptibles de causer des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel ou de faire usage de tout ce qui pourrait causer des maux superflus 🌿. Des réflexions sont en cours sur la question de savoir si le concept d’écocide ne devrait pas rejoindre la liste des crimes de guerre : nous assistons à la naissance de l’écologie de guerre.
Car les enjeux environnementaux sont, eux aussi, des enjeux de sécurité : ainsi, l'humanité paye encore la facture écologique de la Première Guerre mondiale, d’après Ben Cramer, chercheur en géopolitique et sécurité environnementale au Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, à Bruxelles. Et pourtant, ça commence à dater !
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Une guerre écolo, vraiment ?
Il ne s’agit pas de faire la guerre avec des chars électriques ou de se promener comme jadis à cheval sur les champs de bataille, ni d’aller ramasser l’ensemble des douilles tombées au sol après un affrontement afin de ne pas dégrader la nature et de la laisser telle qu’on l’a trouvée 💚. On se doute bien qu’en pareille situation, on a comme qui dirait d’autres priorités…
À la guerre comme à la guerre ? Non, car il y a sans doute un juste milieu à trouver entre les objectifs visés et le coût environnemental de telle ou de telle frappe. Détruire une usine chimique et polluer les milieux sur plusieurs décennies pour maîtriser une petite poignée de soldats qui se trouvent à l’intérieur, n’y a-t-il pas, parfois, une disproportion ? Peut-on vraiment frapper à l’aveugle, sans se soucier une seconde des enjeux environnementaux qui revêtent aujourd’hui un tel caractère d’urgence 🤔 ?
À retenir La guerre, cette machine à détruire, ne se contente pas de décimer les Hommes : elle n’épargne pas l’environnement. Si cet aspect des conflits armés est bien souvent considéré comme secondaire, c’est oublier qu’il s’agit, aussi, d’une question de sécurité à court et à long terme, y compris pour les populations locales. Parce qu’il est infiniment plus rapide de détruire que de reconstruire, parce que la résilience des écosystèmes est un processus long et laborieux, chaque dégradation, chaque atteinte à l’environnement laisse une trace presque indélébile sur les milieux : il s’agit d’une véritable bombe à retardement. Des écocides bien souvent disproportionnés qui seront, peut-être un jour, pris en considération et sanctionnés par la Cour Pénale internationale. Explorer - protéger - se ressourcer #BornToBeWild |
Sources : reporterre.net, geo.fr, statistica.com, bfmtv.com, francetvinfo.fr, ici.radio-canada.ca, apostrophemag.ca