C’est quoi, une méga-bassine ?
Les méga-bassines, en deux mots, sont des immenses réserves d’eau réservées à l’irrigation des cultures. Ces réserves de substitution sont présentées comme une solution contre le réchauffement climatique et les sécheresses qui se multiplient 🥵. Il s’agit d’ouvrages totalement artificiels, bien souvent situés en plaine, ayant pour objet de prélever de l’eau au cours de l’hiver, en vue de la saison estivale, et notamment des épisodes de sécheresse qui sont désormais incontournables. Plastifiées et totalement imperméabilisées, elles sont pourvues de hautes digues, et peuvent s’étendre sur plusieurs hectares (jusqu’à 18 !). Elles peuvent ainsi contenir l'équivalent de 300 piscines olympiques. Ainsi, deux nouveaux projets de mégabassines à l’étude dans le Puy-de-Dôme au profit de 36 agriculteurs pour la plupart adhérents de Limagrain, quatrième plus gros producteur de semences au monde, prévoient de stocker l’équivalent de 600 piscines olympiques d’eau et de 46 terrains de football en surface : si le projet voit le jour, il s’agira des plus grandes retenues d’eau de France !
Compte tenu des difficultés grandissantes d’accès à l’eau au cours des derniers étés, elles ont le vent en poupe et font l’objet de nombreux projets et d’importants financements publics en France. Pourtant, une chose est sûre, elles sont loin de mettre tout le monde d’accord 😠…
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D’où vient l’eau des méga-bassines ?
L’eau contenue dans ces bassins est directement prélevée dans les nappes phréatiques et les cours d’eau, afin d’être disponible au cours de l’été qui suit, selon le principe de substitution. Elles sont donc à distinguer des réserves « collinaires » alimentées, de leur côté, par le ruissellement des eaux de pluie.
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Les méga-bassines, une fausse solution ?
En matière de méga-bassine, il y a clairement les « pour » et les « contre » : elles sont très décriées par les défenseurs de l’environnement qui dénoncent une véritable aberration écologique, voilà pourquoi :
- Ces derniers dénoncent un véritable accaparement de l’eau des nappes par un modèle agro-industriel aux nombreux effets délétères. Notamment, sont montrées du doigt les productions de culture de maïs 🌽, très gourmandes en eau à un moment où il ne pleut pas, et inadaptées à nos climats, en grande partie destinées à l’export et à l’élevage industriel, en bâtiments, voire à la méthanisation... Cette production agricole ne participe pas, par une production locale, à la souveraineté alimentaire du pays. Un modèle partiellement responsable du réchauffement climatique, et qui doit aujourd’hui s’y adapter.
- De plus, la qualité de l’eau serait altérée par l’opération, car l’eau, arrivée en surface, subit une dégradation, un développement bactérien, et une eutrophisation, et s’évapore, contrairement à l’eau contenue dans les nappes. L’évaporation entraînerait ainsi une perte de 20 à 60 % de l’eau prélevées, un phénomène qui n’aurait pas eu lieu si elle était restée dans les nappes ♨️. C’est ainsi que le directeur de recherche honoraire au CNRS et spécialiste de l'eau et des systèmes hydrobiologiques, Christian Amblard, évoque au sujet des réservoirs d’eau en surface un contresens.
- On reproche également aux exploitants de se servir en fonction de leurs seuls besoins, sans prise en compte de la disponibilité en eau, ce qui pourrait mener à consommer plus d’eau que nécessaire, et à aggraver encore plus les épisodes de sécheresse, accentuant la pression sur les ressources alors que les nappes peinent à se reconstituer et se rechargent de plus en plus tardivement du fait d’une pluviométrie insuffisante. L’hydroclimatologue Florence Habets évoque ainsi, au sujet des méga-bassines, une « maladaptation » au réchauffement climatique, car plus on stocke, plus le déficit hydrique s’intensifie.
- Ces méga-bassines nuiraient également à la biodiversité. L’eau prélevée se serait infiltrée dans les sols et aurait ruisselé dans les cours d’eau, alimentant son cycle naturel et vivant et répondant aux besoins vitaux des milieux : elle aurait donc alimenté différents écosystèmes.
- Il s’agirait d’une solution, certes efficace à court terme, mais qui perdrait tout intérêt en cas de sécheresse sur le long terme, scénario qui est clairement le nôtre pour les années et décennies à venir.
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L’iniquité entre agriculteurs
🚜 Mais les défenseurs de l’environnement ne sont pas les seuls à les fustiger, c’est aussi le cas de nombreux agriculteurs qui eux, n’y ont pas accès. C’est donc une véritable inégalité entre exploitants, certains en étant privés au détriment de l’agro-industrie, qui bénéficie du soutien public malgré des pratiques d’agriculture déraisonnée. Une iniquité logiquement très mal vécue par les intéressés, et un accaparement de l’eau au profit d’une minorité d’agriculteurs pratiquant une agriculture intensive gourmande en eau, en pesticides et en engrais chimiques. Des agriculteurs détracteurs qui, de leur côté, prônent une répartition équitable et durable des ressources en eau.
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Que préconisent les anti méga-bassines ?
Les « anti » prônent une conversion de l’agriculture vers un modèle plus vertueux, en remplaçant les cultures de maïs, et en misant sur une recharge naturelle des nappes, au moyen de la reforestation, de la plantation de haies et de prairies, ayant tous un rôle primordial dans le cycle de l’eau. 👉 Pourquoi les arbres sont si importants au juste ?
Une réduction de la consommation de viande 🥩, par exemple, permettrait de faire d’importantes économies d’eau, dans la mesure où plus de 71% des terres agricoles de l’Union européenne servent à alimenter le bétail.
Les arguments des pro-bassines
À l’inverse, les défenseurs de méga-bassines affirment qu’au contraire, ces projets permettent une amélioration globale du niveau des nappes en printemps-été et une augmentation du débit des cours d’eau, en diminuant notablement les volumes prélevés l’été. D’après eux, la nappe n’est prélevée qu’à la condition qu’elle déborde, au-delà d’un certain seuil, avant que le surplus ne se déverse dans les cours d’eau. De ce fait, il s’agirait d’une eau excédentaire l’hiver, qui sans cela serait perdue.
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Ils s’appuient notamment sur un rapport technique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), estimant le procédé comme étant globalement vertueux, et susceptible d’avoir des effets globalement positifs à la fois sur les nappes phréatiques, les cours d'eau et les zones humides. Pourtant, le BRGM aurait publiquement pris position sur cette question, soulevant le fait que certains angles morts n’aient pas été pris en compte dans leur étude, comme les évolutions climatiques.
Le vrai du faux
🧐 Et c’est tout à fait vrai : dans son Communiqué de presse, le BRGM apporte certaines explications sur l’expertise qu’elle a rendue en juin 2022, à la demande de la Société Coopérative Anonyme de l’eau des Deux-Sèvres (COOP 79), maître d’ouvrage des projets de création de réserves de substitution sur le bassin de la Sèvre-Niortaise-Mignon.
À ce sujet, Le BRGM précise que ce rapport n’est ni « une étude approfondie, ni une étude d’impact de toutes les conséquences possibles des prélèvements d’eau envisagés. Il ne s’agit pas non plus d’un article de recherche scientifique soumis à l’évaluation de la communauté scientifique. » Par ailleurs, il précise clairement que les scénarios d’impact du changement climatique n’y ont pas été pris en compte, et que ces paramètres, non simulés dans l’étude, sont importants, dans la mesure où « la récurrence de périodes de sécheresse hivernale pourrait conduire de manière répétée à des niveaux de nappe inférieurs aux seuils réglementaires ». Ce rapport permet simplement d’évaluer ce qui se serait passé si les réserves de substitution avaient été mises en place au cours des années 2000-2011. Il reconnaît également ne pas avoir non plus envisagé les risques d'évaporation de l'eau depuis les réserves.
Il semblerait donc que ces données soient en définitive utilisées de manière trompeuse, notamment par les pouvoirs publics.
De même, le « Giec des Pays de la Loire », déclinaison régionale autoproclamée du Giec, composée de chercheurs multidisciplinaires travaillant dans des universités, des grandes écoles ou instituts de recherche, recommande dans un rapport du 12 avril 2023 d’interdire la construction de méga-bassines agricoles. Ce réseau d’acteurs engagés dans le développement durable en appelle à l'accélération de la formation des agriculteurs aux enjeux climatiques et à un soutien au changement de modèle agricole, désormais incontournable.
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À retenir :
Une chose est sûre, les méga-bassines font parler d’elles et cristallisent de nombreuses tensions. Ces immenses réserves d’eau réservées à l’irrigation des cultures, ou réserves de substitution, sont présentées par ses défenseurs comme une solution au problème du réchauffement climatique et aux sécheresses qui l’accompagnent. Directement prélevée dans les nappes phréatiques et les cours d’eau pendant l’hiver, l’eau est ensuite utilisée par les agriculteurs au cours de l’été qui suit afin de faire face aux canicules et aux pénuries.
Une véritable hérésie pour de nombreux scientifiques et défenseurs de l’environnement, qui dénoncent une fausse solution, aggravant encore davantage la pression sur les ressources en eau dans un contexte où les nappes peinent à se reconstituer, de même qu’un véritable accaparement de l’eau par l’agro-industrie, au détriment des écosystèmes et des autres agriculteurs, qui eux, n’ont pas cette chance et font l’objet de restrictions. Un contresens, dans un contexte où, au contraire, c’est le modèle même de notre agriculture qui devrait s’adapter au réchauffement climatique. Malgré tout, l’Etat persévère dans cette voie, si l’on en croit les propos du Président Macron lors de sa récente présentation du « Plan Eau » en mars 2023.
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Sources : vie-publique.fr, greenpeace.fr, geo.fr, francetvinfo.fr, confederationpaysanne.fr, huffingtonpost.fr, francetvinfo.fr, radiofrance.fr, lefigaro.fr, basta.media
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